Ce magnifique roman trouve une source dans des faits historiques. Laurent Gaudé me transporte de continent en continent, de batailles célèbres à dos d’éléphant en expédition éclair peuplées d’hélicoptères, de drones, de terres brûlées et de manipulations politiques.
C’est aussi un va-et-vient dans le temps, et ses courts paragraphes sont des goutte-à-goutte qui font grossir le flot : je suis bientôt sur une barque qui tantôt me berce tranquillement de siècle en siècle, tantôt m’envoie en pleine figure les vagues de l’horreur de la guerre, toujours recommencées, avec ses éclaboussures de sang et de viscères.
À côté de ce qu’il reste dans les livres d’Histoire, Laurent Gaudé pose sa plume, érudite, mélancolique et juste, dans l’intimité de ses acteurs. Il ouvre les blessures des héros devant moi, béantes; si intimes. Il me place en spectateur de ces petites hésitations rencontrées au paroxysme des événements, celles qui les transforment en victoire, ou en défaite. Héros gagnant ? Héros perdant ? Ténue frontière…
Et il me place aussi en acteur, couché sur la plage où l’Histoire me baigne dans son inlassable marée, toujours : je suis l’héritier des faits glorieux rapportés dans les journaux et le stress médiatique. Et je suis aussi celui des destins singuliers et tragiques, rapportés, eux, dans les journaux intimes et les stress post-traumatiques…
En filigrane de tant de transmission, Laurent Gaudé me laisse cependant trainer, par dessus bord, un doigt dans une mer calme : il me console avec l’amour fugitif mais puissant de deux chercheurs d’éternité, archéologues du temps comme de la connaissance d’eux-mêmes. Avec eux j’ai perdu ; grâce à eux je gagne.