Soif – Amélie Nothomb – Albin Michel

Liquide d’abord, liqueur ensuite !

Bon, bien sûr, on tombe tout de suite sous le charme de cette idée géniale : faire parler le Christ. Avec la surprise, il y a aussi un peu de sidération : ce n’est pas une idée si courante, alors que le personnage est l’un des plus célèbres de l’histoire occidentale. C’est même une idée aussi géniale qu’évidente, tant Jésus est encré dans nombre de cerveaux : on épouse donc immédiatement le personnage, et Marie-Madeleine avec lui bien entendu. Et peut-être qu’on a un peu honte aussi de n’avoir jamais imaginé ce que pensait et ressentait le Christ : comme si cette masse impressionnante d’informations sur lui avait statufié le personnage et l’avait rendu inaccessible, extérieur à nous même. Jamais on ne pense au fond qu’il avait un cœur lui aussi ! Et des émotions ! Tout juste une crise de colère en 33 ans, et beaucoup, beaucoup de résignation; pas vraiment un humain, le gars…

Donc cette idée vous met tout de suite dans de bonnes dispositions. Mais est-ce parce que le choc initial est si fort et si séduisant que le contraste avec la simplicité de l’écriture est perturbante ? Les phrases coulent vite, on circule dans le texte sans branches auxquelles s’accrocher, et, du coup, on décroche. On se dit qu’on va basculer philosophe ? Mais non, rien ne se passe. Une soif… liquide, en somme. Amélie Nothomb aurait mis un an à écrire ce livre ? Impensable…. tant certains passages apparaissent si facilement décrits… bâclés ? C’est donc déçu qu’on achève la lecture, en conservant quand même un émerveillement pour cette idée sublime.

Et puis… et puis, on y repense… on s’est accoutumé à l’idée, et on se dit que, ce n’est pas possible, on a dû passer à côté d’un truc. Tous les tableaux, toutes les sculptures, toutes les églises vous reviennent en pleine tête. On rumine. Ca résonne dans tous les sens. On se remet en question. Une telle idée n’a pas pu générer un texte aussi plat qu’on a voulu le croire… Alors on reprend le bouquin pour une 2eme lecture.

Et là, tout change. Et si, au lieu du Christ, c’était chacun de nous, lecteur, qui parlait ? Alors là, c’est le vertige, et l’économie de mots, la grammaire simple, tout vous emmène vers l’épure. On en reveut, on ne fait plus de pause comme à la première lecture. On est ivre un peu, mais on en redemande : une soif de liqueur, en somme ! Peu à peu, le texte devient le nôtre, celui de chaque lecteur, le mien, et on l’adopte comme la meilleure fusion de tous les écrits sur le développement personnel et la pleine conscience !

Oui c’est ça : la force émerge du texte comme les esclaves de Michel Ange de leur marbre : et c’est une libération ! Amélie Nothomb aurait-elle réussi à débarrasser 2000 ans d’histoire de ses absurdités, de ses inventions, de la monstruosité de la crucifixion soi-disant voulue par Dieu, et de tant de fatras culpabilisant ? Et à faire de moi un Jésus, moi qui ne suis plus catholique ?

A la fin du livre, un peu mieux affranchi du carcan chrétien, ressuscité moi aussi, en paix, et au beau milieu de ma vie éternelle, je suis. No tomb, Amélie, c’est sûr !

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