Ce n’est pas une histoire de tranchées lors de la 1ère guerre mondiale sur le front de l’Est : non, c’est une histoire de terre.
Cris, c’est le bruit de la terre, la rugosité de la terre, les trous de ses cratères, celle où les héros de Laurent Gaudé survivent tour à tour, les yeux rivés sur leur camarade autant que sur la ligne de front, celle jonchée par les cadavres que l’on n’a pas le temps de lui offrir, car on creuse pour survivre, et, quand la mort est là, on reste simplement couché sur elle.
La terre qui leur remplace le sang.
Le talent de Laurent Gaudé, c’est toujours la force des univers suggérés par de simples mots : une érudition sous-jacente, qui nous plonge dans l’époque et l’endroit avec une force inouïe, et la maîtrise impeccable du rythme.
Et la saccade des regards, autant de chapitres qui sont comme le bruit inlassablement répété de la mitraille.
Pendant cette lecture, j’ai en tête mon grand-père, volontaire à 17 ans pour aller tirer des lignes de téléphones dans le fond des tranchées. Il en est revenu. Avec ce livre, je comprends pourquoi il n’en a pas parlé : Laurent Gaudé m’offre une vision possible de son calvaire, et je mesure la chance de l’avoir connu, d’avoir pu l’embrasser, loin des millions de croix enfoncées dans la terre.