Gilles Marchand dit de ce livre qu’il change ses habitudes, d’époque comme de style. Croyons le volontiers. « Le soldat désaccordé » (Aux Forges de Vulcain) arrive au milieu de cette rentrée littéraire comme un souvenir que l’on voudrait voilé au fond de nos mémoires : la poisse indéfinissable de la Guerre de 1914-1918.
Les récits de Maurice Genevoix, d’Erich Maria Remarque, hélas se sont évaporées : c’est le sort de bien des lectures forcées aux âges de collège ou lycée… L’horreur des pluies d’obus, les gueules cassées, l’inénarrable, Pierre Lemaître nous en a bien parlé dans « Au revoir là haut ». Et Laurent Gaudé racontait quant à lui dans « Cris » ce que la vie dans les tranchées avait de contours incertains : terre, chair, sang, dents de rats ? Creuser, recharger, essayer de dormir, fuir, gagner un mètre ?
Dans « Le soldat désaccordé », l’Histoire, la grande, est bien présente, précise, mais jamais débordante, comme une toile suffisante où poser une quête : retrouver un soldat disparu. Or nous le savons tous : se mettre en chemin c’est s’ouvrir aux surprises. Celles de Gilles Marchand sont plutôt poétiques et suscitent ma préférence en littérature : l’émotion. Sa plume parsemée de belles litanies flotte au-dessus des pages comme une note continue. Elle nous pousse souvent à prendre le temps de regarder la lune pour imaginer nous aussi cette fille mystérieuse qui obsède le soldat recherché. S’agit-il d’une personne ou bien du rêve fou d’un corps désespéré ? Les camarades racontent, se souviennent de bribes, d’images, de brouillard et de nuits, l’histoire se répand, se déforme, se reforme, puis, plus on avance dans le texte, plus elle nous hypnotise. Oui, même dans l’horreur absolu, il est possible d’aimer, mais l’amour ici n’est pas un kit de survie ; non, simplement, il est, émeut ceux qui le vivent comme ceux qui le côtoient, emporte, et, parfois, sauve. Et ce n’est pas si simple d’écrire un chemin remarquable qui mène à cette évidence. Qu’il est beau celui-là !