Gare de Toulon, entre deux trains, je lis « Une histoire de France » de Joffrine Donnadieu.
En réalité, c’est l’histoire de Romy : ce titre magnifique est déjà un mensonge qui joue l’ambiguïté.
Je lève les yeux. Une femme s’approche du piano mis à disposition au milieu du hall et soulève le couvercle : elle réveille l’instrument.
Elle s’assied et commence à jouer : elle caresse les touches de ses doigts sensuels.
Peu à peu son rythme s’emballe, je la fixe, elle se lève, envoie promener le tabouret, la mélodie se tend, elle se courbe sur le piano, elle s’énerve, invente une musique mélangeant airs tant de fois entendus et improvisation, elle frappe l’instrument, en défonce les touches et sa composition habite le hall tout entier : je suis subjugué par tant de radicalité.
Parfois, une fausse note crucifie ; elle enrage, elle cogne, jette la clé de Si, teste la clé de Fa et les cordes étincellent sous ses coups de marteaux.
Pourtant, de la cacophonie émerge une mélodie qui me serre le cœur.
Et puis voilà là dernière page, la musique s’arrête : devant moi, ni pianiste, ni instrument.
Ne reste que le livre refermé dans mes mains.
Ai-je inventé la scène ?
Je comprends tout à coup : Joffrine au point final a cessé de jouer.
Bouleversé, je range le volume dans mon sac, je monte dans le train.
Je garde en moi le portrait de Romy, cette enfant rétrécit dans son corps encombré, et cette partition.
Maintenant je le sais : elle était bien réelle.
Elle sonne dans ma tête où Joffrine en guerrière a planté son piano.